Quoiquil y ait peu darticles de jurisprudence dans ces honnêtes réflexions alphabétiques, il faut pourtant dire un mot de la torture, autrement nommée question. Cest une étrange manière de questionner les hommes. Ce ne sont pourtant pas de simples curieux qui lont inventée; toutes les apparences sont que cette partie de notre législation doit sa première origine à un voleur de grand chemin. La plupart de ces messieurs sont encore dans lusage de serrer les pouces, de brûler les pieds, et de questionner par dautres tourments ceux qui refusent de leur dire où ils ont mis leur argent.
Les conquérants, ayant succédé à ces voleurs, trouvèrent linvention fort utile à leurs intérêts; ils la mirent en usage quand ils soupçonnèrent quon avait contre eux quelques mauvais desseins, comme, par exemple, celui dêtre libre; cétait un crime de lèse-majesté divine et humaine. Il fallait connaître les complices; et pour y parvenir on faisait souffrir mille morts à ceux quon soupçonnait, parce que, selon la jurisprudence de ces premiers héros, quiconque était soupçonné davoir eu seulement contre eux quelque pensée peu respectueuse était digne de mort. Dès quon a mérité ainsi la mort, il importe peu quon y ajoute des tourments épouvantables de plusieurs jours, et même de plusieurs semaines; cela même tient je ne sais quoi de la Divinité. La Providence nous met quelquefois à la torture en y employant la pierre, la gravelle, la goutte, le scorbut, la lèpre, la vérole grande ou petite, le déchirement dentrailles, les convulsions de nerfs, et autres exécuteurs des vengeances de la Providence.
Or, comme les premiers despotes furent, de laveu de tous leurs courtisans, des images de la Divinité, ils limitèrent tant quils purent.
Ce qui est très singulier, cest quil nest jamais parlé de question, de torture dans les livres juifs. Cest bien dommage quune nation si douce, si honnête, si compatissante, nait pas connu cette façon de savoir la vérité. La raison en est, à mon avis, quils nen avaient pas besoin. Dieu la leur faisait toujours connaître comme à son peuple chéri. Tantôt on jouait la vérité aux dés, et le coupable quon soupçonnait avait toujours rafle de six. Tantôt on allait au grand prêtre, qui consultait Dieu sur-le-champ par lurim et le thummim. Tantôt on sadressait au voyant, au prophète, et vous croyez bien que le voyant et prophète découvrait tout aussi bien les choses les plus cachées que lurim et le thummim du grand prêtre. Le peuple de Dieu nétait pas réduit comme nous à interroger, à conjecturer; ainsi la torture ne put être chez lui en usage. Ce fut la seule chose qui manquât aux moeurs du peuple saint. Les Romains ninfligèrent la torture quaux esclaves, mais les esclaves nétaient pas comptés pour des hommes. Il ny a pas dapparence non plus quun conseiller de la Tournelle regarde comme un de ses semblables un homme quon lui amène hâve, pâle, défait, les yeux mornes, la barbe longue et sale, couvert de la vermine dont il a été rongé dans un cachot. Il se donne le plaisir de lappliquer à la grande et à la petite torture, en présence dun chirurgien qui lui tâte le pouls, jusquà ce quil soit en danger de mort, après quoi on recommence; et, comme dit très bien la comédie des Plaideurs: "Cela fait toujours passer une heure ou deux."
Le grave magistrat qui a acheté pour quelque argent le droit de faire ces expériences sur son prochain, va conter à dîner à sa femme ce qui sest passé le matin. La première fois madame en a été révoltée, à la seconde elle y a pris goût, parce quaprès tout les femmes sont curieuses; et ensuite la première chose quelle lui dit lorsquil rentre en robe chez lui: "Mon petit coeur, navez-vous fait donner aujourdhui la question à personne?"
Les Franc qui passent, je ne sais pourquoi, pour un peuple fort humain, sétonnent que les Anglais, qui ont eu linhumanité de nous prendre tout le Canada, aient renoncé au plaisir de donner la question.
Lorsque le chevalier de La Barre, petit-fils dun lieutenant général des armées, jeune homme de beaucoup desprit et dune grande espérance, mais ayant toute létourderie dune jeunesse effrénée, fut convaincu davoir chanté des chansons impies, et même davoir passé devant une procession de capucins sans avoir ôté son chapeau, les juges dAbbeville, gens comparables aux sénateurs romains, ordonnèrent, non seulement quon lui arrachât la langue, quon lui coupât la main, et quon brûlât son corps à petit feu; mais ils lappliquèrent encore à la torture pour savoir précisément combien de chansons il avait chantées, et combien de processions il avait vues passer, le chapeau sur la tête.
Ce nest pas dans le xiiie ou dans le xive siècle que cette aventure est arrivée, cest dans le xviiie. Les nations étrangères jugent de la France par les spectacles, par les romans, par les jolis vers, par les filles dOpéra, qui ont les moeurs fort douces, par nos danseurs dOpéra, qui ont de la grâce, par Mlle Clairon, qui déclame des vers à ravir. Elles ne savent pas quil ny a point au fond de nation plus cruelle que la française.
Les Russes passaient pour des barbares en 1700, nous ne sommes quen 1769; une impératrice [Catherine II] vient de donner à ce vaste État des lois qui auraient fait honneur à Minos, à Numa et à Solon, sils avaient eu assez desprit pour les inventer. La plus remarquable est la tolérance universelle, la seconde est labolition de la torture. La justice et lhumanité ont conduit sa plume; elle a tout réformé. Malheur à une nation qui, étant depuis longtemps civilisée, est encore conduite par danciens usages atroces! "Pourquoi changerions-nous notre jurisprudence? dit-elle: lEurope se sert de nos cuisiniers, de nos tailleurs, de nos perruquiers; donc nos lois sont bonnes."
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